On est en 1954, Septembre arrive, et l'angoisse avec, papa et maman ne parle que de cette rentrée, ma première rentrée, en ce temps là, on ne donnait pas beaucoup d'explications, les temps difficiles faisaient que l'enfant ou l'adolescent, mettaient leurs crises dans les poches et le mouchoir par-dessus pour étouffer tout cela...c'était une autre façon, moins complaisante d'apprendre la vie, ses souffrances comme ses joies...rien ne se discutait vraiment, peu d'échanges ou communications, tout s'apprenait par le vécu, tout se transmettait du regard, d'un geste, l'enfant collé à l'adulte...
Et j'ai donc compris, ces jours là, de fin Août,une chose, je vais aller à l'école, avec pas du tout envie de quitter la maison ni papa et maman, et plus ces derniers jours s'égrènent, même petite, je n'ai que 3ans depuis quelques jours, les souvenirs de ce moment reviennent caresser ma mémoire.
Maman à la foire d'Août, les 28 du mois, m'avait acheté deux petites blouses, des galoches neuves, un chapeau de paille neuf, et au grand bazar, une toute petite valise de carton, ses morceaux étaient cousus avec une sorte de cordon de lin,et sa fermeture métallique facile à ouvrir pour mes petits doigts. Aujourd'hui ces petites valises sont devenues une grande mode et recherchées, à l'époque c'était la marque d'une grande pauvreté, tout cela fait réfléchir à la cupidité des êtres. C'est comme Van Gogh, mort dans une grande misère et aujourd'hui un seul de ses tableaux permettrait la construction d'un village pavillonnaire, nous sommes cinglés, il n'y a pas d'autre terme....
Pour en revenir à ma petite valise, maman y mettrait le matin un bout de pain pour tenir jusqu'à midi, nous partions tôt de la maison, et faisions le trajet à pied, et ce, quatre fois par jour, et 1km et demi pour des petites jambes bien frêles, c'était pas une bagatelle, et par tous les temps. Quand on pense, encore là, aujourd'hui, que pour faire 50 mètres on démarre sa voiture, la fait chauffer et on va "faire pipi avec"...non là j'abuse, mais c'est pas loin....je vous dis tous fêlés....
Ah! Ma valise, je m'égare... mais je la vois encore... à midi maman y mettait le pain qui serait mangé sur le retour vers la maison, mais surtout, elle était le lien, cette attache invisible qui me reliait à la maison, à maman dont je ne pouvais me détacher à cet âge...mais rien n'y fit, il fallait subir cette première épreuve, aller à l'école...
Maman est venue me porter en vélo ce matin là de Septembre, ma grande soeur était là aussi, mais rien de rassurant, j'ignorais totalement ce qui allait m'arriver, ce que j'allais y faire dans cette immense maison froide aux murs démesurés pour ma petite taille, et ces couloirs glacials et interminables...seuls souvenirs qu'il me reste, ses religieuse tout en noir et collerette blanche, car c'était dans ce seul couvent que Naucelle possède, tenu à l'époque, par des Soeurs de Marcillac, qui auraient été mieux comme gardiennes de prison que pour veiller sur des enfants et adolescentes, pour la plupart un peu sauvages comme je me considérai, car j'étais élevais à la campagne, libre et heureuse au milieu des animaux de la ferme et dans un village chaleureux, mais éduquée tout de même, on aurait même pu à cet âge donner des leçons à ceux des villes. Et je me retrouvais au milieu de gens que l'on appelait "civilisés" et humains, mais qui étaient d'un orgueil démesuré et aussi glacial que ces batiments qu'ils habitaient ou fréquentaient, je veux parler des Naucellois qui mettaient aussi leur enfant dans ce couvent.
Donc ce jour bien sombre pour moi, j'ai vu cette femme "déguisée" et enjuponnée, car je n'avais jamais vraiment vu encore une religieuse, à 3ans normal, et quel horreur, l'une d'entr'elle,m'arrache à ma maman, à laquelle je m'accrochais de toutes mes forces, désespérément, mais que ce soit maman ou cet femme tout en noir, toute rouge à retenir surement son impatience, et maman n'osant pas brusquer cette personne austaire, a décroché mes mains, et j'ai cru que maman m'abandonnait, et j'étais devenue inconsolable, même ma grande soeur qui avait 10 ans n'a pu rester longtemps, elle devait aller dans la cour des grandes, moi je restais côté tout petits. Je me souviens que chaque jour était nouveau pour moi, nouvelle horreur à subir, cette séparation insupportable, les religieuse me mettaient des gants d'eau froide sur les yeux, tant ils n'en pouvaient plus de couler, leur source était devenue intarrissable....
Dans ma déchirure, il y a eu un seul réconfort, que je ne pourrais jamais oublier, un tout petit garçon qui avait mon âge, il s'appelait Jean Pierre, habitait chez sa tante, en face presque de l'école, il venait tous les jours me prendre la main et essayait de me consoler en me faisant plein de bisous et essuyant mes yeux, et c'est lui qui a fini par m'apprivoiser, et calmer mon immense chagrin, en brisant cette immense solitude dans laquelle je me sentais plonger une fois passé le porche de ce couvent.
Je n'ai jamais eu l'occasion de côtoyer ce petit garçon après, ayant quitté l'école, pour une autre et le pays, pour aller dans un autre, le Midi, où je restais 5 ans avant de revenir en Aveyron, ni eu l'audace de l'accoster plus tard, nous n'étions pas du même univers, et milieu, les uns volaient dans les hautes sphères, nous les moins dorés du blason dans des sphères différentes .
Mais ce petit garçon m'a marquée pour la vie, et j'ai été très touchée, et eu du chagrin lorsqu'il a perdu la vie, à ses 18ans il me semble, dans un accident de la route, où sur les deux amis dans le véhicule, un seul a échappé à la mort....et à chaque fois que je vais visiter papa sur sa tombe je passe devant celle de Jean Pierre, où il y a sa photo, c'est toujours magnifiquement fleurie,je peux comprendre, comment peut on oublier un seul jour son enfant disparu, je lui dis un petit bonjour par la pensée, je ne peux jamais passer ailleurs, j'éprouve le besoin de le saluer à chaque fois,une sorte de reconnaissance infinie....il a trouvé une autre forme de bonheur, de partage....
Je voudrai que chaque parent comprenne par quel douloureux moment passe leur enfant qui va aller à l'école pour la première fois, et cette rentrée doit se faire à trois, l'accompagner, lui expliquer....l'entourer...l'Aimer et surtout ne pas se moquer de ses larmes ou son chagrin, il est à la mesure de sa taille et de sa compréhension, ne pas oublier que c'est un réel drame pour lui car il a la peur au ventre, peur que papa et maman ne viennent pas le chercher, qu'ils risquent de l'oublier là, tout leur passe par la tête dans ces moments de désespoir, au point qu'ils en oublient le bon côté, la rencontre avec les petits amis, et la connaissance progressive de tout....dommage qu'ils n'apprennent plus le civisme, la politesse et le respect de la nature....